Content warning : quand l'avertissement est pire que son absence
Pour l'empathie, il y a encore du travail.
J’écoute beaucoup de podcasts en vaquant à diverses tâches, et il m’arrive donc d’entendre un peu de tout. Y compris de belles gaffes. Celle-ci est toute récente, et illustre l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas convaincue par les arguments de ceux qui veulent généraliser les « content warnings ».
Donc il s’agit d’un podcast plutôt sympa, qui aborde divers sujets de culture populaire. Je ne le citerai pas nommément, car le but n’est pas de désigner des fautifs, mais de comprendre d’où viennent les fautes. Au début d’un épisode, l’hôte lance un avertissement : « Attention, s’il y a des gens qui sont sensibles à tout ce qui touche aux agressions sexuelles, l’histoire qui va suivre mentionne cela brièvement, sans détails, mais tout de même, il s’agit d’agression sexuelle, donc n’hésitez pas à passer si ça vous pose problème. »
Ah bon ? Ok. Je poursuis mon écoute, et je réalise que l’anecdote ainsi présentée avec des pincettes n’a aucun contenu sensible, elle consiste seulement à mentionner : « Telle personne a subi dans le passé une agression sexuelle et en est restée traumatisée. » C’est littéralement tout. Ce n’est pas un récit de ce traumatisme, juste sa mention comme arrière-plan d’un personnage, dans les mêmes mots que l’avertissement en début de podcast.
Vous voyez le problème ? Au lieu de contribuer à faire baisser l’anxiété que peuvent légitimement éprouver les victimes d’abus sexuels devant la possibilité de tomber à l’improviste sur une description qui les replongerait dans le trauma, cet avertissement ne fait, au mieux, que pousser les gens à se mettre inutilement sur leurs gardes, et au pire amplifie le thème qui cause ces angoisses en le répétant deux fois.
Mais ce n’est pas tout. Dans la même émission, le même hôte poursuit avec l’histoire d’une personne dont la santé mentale se détériore au point qu’elle doit être hospitalisée, puis qu’elle fait une tentative de suicide. Pire, il balance sans précaution particulière la façon dont le mari de la femme hospitalisée apprend sa tentative de suicide alors qu’il s’occupait seul de leur enfant, lui lisant une histoire pour l’endormir, etc. Encore une fois, vous voyez le problème ? Moi, oui. Il faut dire que j’ai dans ma famille proche des gens qui souffrent de troubles mentaux. Et que ma mère s’est suicidée dans un accès de dépression voilà un peu plus de dix ans. Ça sensibilise.
Bien sûr, la question n’est pas ici de mettre en concurrence les différentes sources de trauma. Ce qui compte, ce qu’on voudrait tous (normalement), c’est parvenir à plus d’empathie avec tous ceux et celles qui souffrent. Et faire ce qui est en notre pouvoir pour diminuer cette souffrance.
Mais si on veut plus d’empathie, on ne peut se contenter de cocher des cases sur une liste de choses dont il faut avertir le public, d’une part parce que ce n’est jamais à jour, mais aussi parce que ça ne donne pas une compréhension du problème. Ici, par exemple, notre podcasteur était informé du principe des CW (content warnings) et du fait que les traumatismes sexuels faisaient partie de ce dont on attendait de lui qu’il avertisse le public, mais il n’avait pas réfléchi à la façon de le faire, ni aux cas où cela pouvait être inopportun. Il n’avait pas non plus réfléchi au fait qu’il existe d’autres choses qui peuvent faire souffrir une partie de l’auditoire.
Écouter, réfléchir, se mettre à la place des gens, adapter son comportement en fonction de ce qu’on apprend : il n’y a pas de raccourci qui remplace ce cheminement, ni de cases à cocher pour en donner l’illusion.
(Déjà publié sur mon blog WordPress.)